Chiche ! Chambéry (73)

Cultures d’exportation contre cultures vivrières, la grande arnaque ?

dimanche 12 avril 2009

Beaucoup de clichés courent sur les pays pauvres du Sud, spécialement sur l’Afrique. On imagine des terres difficilement cultivables, sujettes à la sécheresse, tous obstacles naturels à ce que l’abondance règne. En bref : la malédiction. Celle, indécrottable, qui rendrait nécessaire le recours à la charité, sacs de riz portés sur des épaules musclées, sourire dentifrice inclus. Les structures sociales de ces pays et leur place dans la mondialisation sont rarement interrogées. Cela fait pourtant belle lurette que les associations de solidarité internationales nous alertent : ces pays ont tout à fait les moyens de se nourrir, ils ont surtout besoin qu’on leur lâche la grappe.

Lopin ou plantation ?

Dans le Brésil d’après le coup d’Etat de 1964, l’une des raisons principales de la malnutrition qui règne dans le Nordeste, c’est la disparition des lopins confisqués par les gros propriétaires. Les ouvriers agricoles qui triment dans les plantations de canne à sucre n’ont alors plus qu’une source de nourriture : l’importation depuis les autres régions du pays, épargnées par la monoculture, de haricots secs (les fameux feijõas) et de manioc. Passées par le marché national, par des chaînes de distribution longues et coûteuses, acheminées sur des milliers de kilomètres (c’est l’échelle brésilienne), ces denrées se retrouvent dans les bodegas du Nordeste à des prix prohibitifs. Alors que la minuscule roça des ouvriers agricoles, 20m2 à cultiver pour l’usage familial, apportait une nourriture d’appoint, variée et gratuite, qui ne coûtait que le temps qu’on consacrait à la faire pousser, le salaire ne suffit jamais à nourrir la famille dans les mêmes proportions et la même qualité.

Aujourd’hui, avec une mécanisation accrue du travail agricole, l’emploi n’est même plus assuré, d’où un exode rural qui amène les plus pauvres dans les bidonvilles de Lagos ou de Rio. La filière soja brésilienne emploie une personne pour 50 hectares, avec des conditions de travail et sociales qui sont restées souvent indigentes. Le maïs et la canne à sucre font à peine mieux (1). Et ce sont toutes des cultures concernées par les agrocarburants. Dans le même temps, on considère qu’un hectare de terres suffit à faire vivre une famille indienne (2).

Boycott de la banane ! Alors, comment mieux soutenir les pays pauvres qu’en n’achetant justement pas leurs produits ? Ce n’est pas un choix démocratique ou populaire qui est à l’origine des plantations de bananes, palmiers à huile, canne à sucre. C’est l’expression des intérêts des plus gros acteurs économiques, dont les populations locales n’ont eu aucun moyen de se protéger. On s’est habitué à l’idée qu’acheter un produit, c’était soutenir, même dans de petites proportions, la personne qui le fabrique. Le raisonnement dans le cas des produits agricoles doit être radicalement différent. L’agriculture est une activité accessible à tou-te-s, et on n’a pas besoin d’attendre un gros investissement (privé ou coopératif), la mise en place de structures de production de haute technologie, pour produire sur une terre. Une graine qui germe, et c’est parti. Au contraire de ce qui peut se passer dans l’industrie, quand on achète un produit agricole de plantation on ne soutient pas l’emploi généré par cette activité, on soutient la prédation de terres que les populations locales se voient confisquer.

La ruée vers les terres agricoles

L’Amérique latine est marquée par le régime foncier latifundiaire : la latifundia est la grosse plantation d’un colon européen, espagnol ou portugais, qui emploie des locaux sur ses terres, esclaves puis « libres ». Pendant tout le long du XXe siècle, on a vu le recul de cette forme de propriété coloniale... au profit non pas de réformes agraires, mais de l’achat des terres par des multinationales. Agro-alimentaires évidemment, mais aussi industrielles parfois (Ford s’était implanté en Amazonie pendant les riches heures du caoutchouc naturel).

Le renchérissement des prix agricoles, suite entre autres aux tensions provoquées sur le marché par les agrocarburants, rend ce genre d’agissement d’autant plus profitable. Et crise alimentaire oblige, les spéculateurs aussi investissent dans les terres du Sud, c’est une véritable ruée vers les terres agricoles bon marché, qu’on appelle le land grab et qui est surveillée de près par les ONG, autant pour ses conséquences environnementales que sociales, toutes désastreuses (3).

La malédiction qui pèse sur la faculté des pays du Sud à se nourrir, c’est désormais l’inclusion toujours plus pressante de leurs agricultures dans le marché mondial. Marché des terres, marché des produits, qui rendent impossible économiquement une agriculture orientée vers la satisfaction des besoins alimentaires locaux.

Une agriculture mondialisée

Ajoutons à ce tableau le dumping auquel se livrent les pays riches. Notre agriculture, dopée au engrais, pesticides et médocs, produit trop ? « Il est devenu politiquement plus intéressant, et en général économiquement plus avantageux, d’exporter les excédents – souvent sous forme d’aide alimentaire – que de les stocker. Ces excédents, fortement subventionnés, font baisser les prix sur le marché international de denrées telles que le sucre et ils ont créé de sérieux problèmes pour plusieurs pays en développement, dont l’économie se fonde sur l’agriculture » (4).

Plus de vingt ans après le rapport Bruntland, qui posait les bases d’un développement durable, la situation n’a pas beaucoup changé et l’Europe continue à « être vache avec l’Afrique » (5) en y exportant du lait en poudre à prix bradé. La disparition des jachères, décidée par la PAC dans un monde où la crise alimentaire se fait sentir, est une façon de redire la vocation exportatrice de l’agriculture européenne. A priori, c’est tout bon pour les consommateurs africains, qui paieront moins cher leurs aliments. Mais c’est la catastrophe pour l’agriculture de type familial, moins compétitive. Notre lait fortement subventionné vient concurrencer de manière déloyale celui qui est produit localement (oui, il y a des vaches en Afrique), fermant ainsi les débouchés des petits paysans. Et les condamnant économiquement.

Autonomie, camarade !

Pour permettre à tout le monde de bouffer sur cette planète, il ne s’agit donc ni de produire plus (version révolution verte ou version OGM), ni de faire la charité (commerce inéquitable ou moins inéquitable), mais d’accepter la demande qui est faite au système politique mondial que l’agriculture des pays pauvres se relocalise, qu’elle se réoriente sur les besoins des populations locales plutôt que de rester tributaire des nôtres. Et ça passe par une sacré remise en question, personnelle et politique, de notre mode de vie...

— 

(1) Amis de la Terre Brésil et fondation Heinrich Böll, Agrobusiness and biofuels : an explosive mixture, 2006), cités dans Maryline Cailleux et Marie-Aude Even, « Les biocarburants : opportunité ou menace pour les pays en voie de développement ? », Prospective et évaluation n°3, janvier 2009.

(2) C’est le propos d’Ekta Parishad, mouvement populaire de lutte pour la défense des droits des paysans sans terre et des peuples indigènes en Inde.

(3) « Main basse sur les terres agricoles du Sud », Guy Debailleul, 26 février 2009. Signalons aussi le blog animé par l’ONG Grain.

(4) Rapport Brundtland (1987), chapitre 5, « Sécurité alimentaire : soutenir le potentiel ».

(5) Du nom d’une des campagnes menées conjointement par le CFSI, le CCFD, Oxfam-Agir ici, la Confédération paysanne, ATTAC et on en oublie.


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