Chiche ! Chambéry (73)

Du développement durable à la croissance durable

octobre 2007

En 1972, le club de Rome avait publié un rapport intitulé « Halte à la croissance ! », qui avait fait couler beaucoup d’encre. L’émergence du développement durable s’inscrit-il dans la continuité de cette première critique de la croissance ?

L’impuissance du développement durable à remettre en cause la croissance Quel est le contenu de ce nouveau principe d’action universel qu’est le développement durable ?

La définition généralement retenue est issue du rapport de Brundtland : il s’agit d’un « type de développement qui permet de satisfaire les besoins du présent sans compromettre la possibilité pour les générations futures de satisfaire les leurs. » Cependant le rapport n’indique pas comment donner corps à ce principe (quels modalités ? quelles politiques ? quelles instruments ?). De plus, il compte lui-même déjà six acceptions différentes du concept de développement soutenable. Deux ans plus tard, alors que les acceptions différentes se comptaient par dizaines, François Hatem (1) proposait de classer les principales théories du développement durable en deux catégories principales : « écocentrées » et « anthropocentrées » selon qu’elles sont axées sur la préservation de la Terre ou sur le bien-être de l’Homme.

Changer d’indicateurs ?

Cependant, si le rapport Brundtland n’a tracé aucune ligne directrice pour mettre en œuvre le développement durable, la conférence de Rio a débouché sur un programme (l’Agenda 21) qui a conduit à s’interroger sur les indicateurs du développement durable. Les rédacteurs/ices de l’Agenda 21 s’accordaient sur le fait que les indicateurs du développement, relatifs à la création de valeur ajoutée (PNB, PIB) ne permettaient pas de rendre compte de la durabilité d’une politique de développement. La conférence de Rio a ainsi relancé les tentatives d’élaboration de nouveaux indicateurs du développement. Parmi les indices ou indicateurs proposés, certains reposent sur une base monétaire (PIB corrigé par d’autres variables), d’autres non ; certains s’intéressent à la dégradation de l’environnement, d’autres aux droits civils et politiques… Cependant aucun des indices proposés dans la foulée de la Conférence de Rio ne sera adopté par les institutions internationales. Le seul indice « alternatif » du développement utilisé par celles-ci (depuis 1990) est l’IDH (indice de développement humain). Proposé par le PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), l’IDH combine trois indicateurs : l’espérance de vie à la naissance, le niveau d’éducation et…le revenu, c’est-à-dire le PIB par habitant corrigé en parité de pouvoir d’achat.

Si les indicateurs classiques de la richesse ont été reconnus comme insuffisants par les rédacteurs de l’Agenda 21, a-t-on assisté pour autant à une redéfinition fondamentale des objectifs des politiques publiques dans le monde, sur la base d’une nouvelle approche de la richesse ? Bien loin de là : non seulement le PIB constitue le 1/3 de la valeur de l’IDH, mais on peut remarquer qu’en France, alors qu’on n’a jamais autant parlé de développement durable, on n’a également jamais autant parlé de la « nécessaire » conciliation entre croissance et écologie, ce qui débouche sur des impostures intellectuelles telles que « croissance verte », « croissance durable », « autre croissance », « croissance propre »… Ceci est d’autant plus aisé que la notion académique de développement durable englobe trois dimensions : économique, sociale et environnementale. Pour Sylvie Brunel, auteure d’un « Que sais-je ? » (2004) sur le développement durable (2), la dimension environnementale consiste à préserver la planète pour les générations futures, la dimension sociale à mieux répartir les richesses et enfin la dimension économique… à faire croître la production.

L’imposture d’une croissance propre

Pour certain-e-s, il n’y a là rien de saugrenu, au contraire. Franck-Dominique Vivien, maître de conférences en sciences économiques et spécialiste d’économie de l’environnement, commente dans un article les travaux de deux économistes (3) : « Gene Grossman et Alan Krueger ont ainsi cherché à établir une corrélation entre le revenu par habitant et certains indicateurs de pollution de l’air et de l’eau dans plusieurs pays. Leurs résultats montrent que les émissions polluantes croissent en fonction du revenu moyen jusqu’à une certaine limite puis décroissent, traçant ainsi une courbe en U inversé, que l’on désigne parfois comme une courbe de Kuznets environnementale, du nom de l’économiste qui, dans les années 50, avait tenté d’établir une relation similaire entre croissance du revenu par tête et les inégalités sociales. » Plus loin Franck-Dominique Vivien poursuit : « Le problème, comme en conviennent G. Grossman et A. Kueger, est que cette relation en U inversé ne peut être généralisée. Elle ne vaut que pour certains polluants qui ont des impacts locaux à court terme [dioxyde de soufre, monoxyde de carbone, oxydes d’azote] et non, par exemple, pour les rejets de CO2 ou la production de déchets ménagers qui croissent avec le revenu par tête. De plus, quand elle est établie, cette relation n’est pas mécanique. C’est parce que des politiques publiques sont menées que l’on peut enregistrer des résultats encourageants dans la lutte contre les pollutions. Enfin, il ne faut pas oublier que les réductions d’émissions observées peuvent être compensées par d’autres augmentations, les industries les plus polluantes pouvant être transférées sous des latitudes où la réglementation est moins contraignante. »

Cependant notre actuelle secrétaire d’Etat à l’environnement, Nathalie Kociusko-Morizet, ne se pose pas tant de questions. Se basant sur les « courbes en cloche » de l’OCDE, elle nous explique qu’à partir d’un certain point « la pollution totale décroît, bien que le PIB continue d’augmenter » (4). Un modèle mathématique que la polytechnicienne n’a apparemment pas daigné confronter à la dure réalité...


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