Chiche ! Chambéry (73)

Relocaliser radicalement l’économie

mars 2005

Nous consommons des fruits exotiques ou des cerises hors saison du Chili, des produits électroménagers élaborés à moindre coût en Chine, du coton qui a poussé dans les plaines d’Asie centrale. Et nous ne voyons pas où est le problème. Bien sûr que les joviaux-ales paysan-ne-s du Sud que l’on voit dans les pubs et les ouvrier-e-s dur-e-s à la tâche des usines du Tiers-monde sont content-e-s que nous achetions leurs produits. Le dimanche, illes se prélassent dans des hamacs et grignotant des tranches des ananas qu’illes ont récoltés toute la semaine. Sans nous, comment feraient-illes ? Comme illes ont longtemps fait ? Pas moderne, pas généreux d’oser reparler d’autonomie et d’autosuffisance. Pourtant il va falloir en passer par là. Et ce pour deux grandes raisons.

Un effet de serre incontournable

Que nous le déplorions ou non, la catastrophe du millénaire se prépare, à savoir des désordres climatiques d’une violence sans précédent ayant pour cause les changements que nous causons dans l’atmosphère. Quand nous émettons quatre tonnes de dioxyde de carbone chaque année avec nos petits déplacements automobiles, ajoutons-nous à ces émissions le kérosène des avions-cargos chargés d’amener sur les étals des marchés nos savoureuses bananes ? Les transports, de personnes ou de marchandises, automobiles ou aériens, sont responsables de 40% des émissions qui augmentent l’effet de serre mondial.

Cette catastrophe écologique n’est pas négociable. Nous devons faire avec, en étant le plus chiches possible avec notre pétrole, en imaginant des villes sans voitures et en relocalisant radicalement notre économie. Nous devons nous satisfaire de produits agricoles locaux et refuser que l’on aille chercher trop loin la main d’œuvre industrielle. L’augmentation du prix du pétrole, qui témoigne de la disparition annoncée de cette ressource de valeur, va empêcher de fait dans un futur proche les entreprises d’aller chercher le profit à coup de tonnes de CO2. Nous devons anticiper cette tendance en réapprenant l’autosuffisance : consommer des produits élaborés dans la région, toujours au plus près. Bien sûr on dira que le commerce est une vertu humaine, et qu’il apporte à tou-te-s le bonheur, la civilisation, le confort, le plaisir d’être plusieurs et de partager. Mais sommes-nous sûr-e-s que les populations du Sud profitent des joies du commerce mondialisé ?

Un commerce qui rend pauvre

Un film récent, Le Cauchemar de Darwin, nous montre l’exemple des effets de relations commerciales Nord-Sud sur les habitant-e-s des rives du lac Victoria, en Tanzanie. Le lac offre une pêche miraculeuse en perches du Nil, gros poisson introduit dans les années 50 et qui depuis, en s’attaquant aux autres espèces de poissons, menace l’équilibre écologique du lac dont quelques régions sont déjà mortes. On imagine qu’après leur journée de travail les pêcheurs s’offrent des poissons grillés au feu de bois en jouant des musiques joyeuses. Mais le réalisateur, Hubert Sauper, nous ôte bien vite les illusions que nous pourrions avoir sur les bienfaits du commerce mondial. Une fois débitées en filets dans des usines ultra-modernes gérées par des managers indiens et où travaillent des Tanzanien-ne-s qui ne semblent pas recueillir les bénéfices de la mondialisation, les carcasses de poisson partent dans les collines. Là, dans la boue, elles sont traitées par des populations encore plus pauvres que les travailleurs de l’usine. Les têtes de poisson en putréfaction sont séchées ou frites. Elles dégagent des vapeurs d’ammoniaque qui rendent aveugles ceux et celles qui les travaillent. C’est de cette nourriture infâme que se nourrissent les populations locales, pendant que nous nous offrons des filets de perche du Nil sauce au beurre blanc. Beau partage de la richesse offerte par cette pêche miraculeuse. Qui donc s’enrichit ? Les compagnies russes qui règlent le ballet des avions-cargos entre l’Europe et le lac Victoria. Les entreprises étrangères qui possèdent les usines de transformation des perches. L’Etat tanzanien, dont la perche est le produit d’exportation numéro un et qui permet au pays d’entretenir une armée aux soldats bien mieux rémunérés que les travailleurs du lac, et de se payer des armes. Les avions-cargos qui repartent avec des filets de perche sont en effet arrivés remplis d’armes, alimentant ainsi des guerres dans une région (République démocratique du Congo, Rwanda, Ouganda) qui a connu les conflits les plus meurtriers depuis la seconde guerre mondiale. Les fabricants d’armes français et européens se frottent les mains. Pendant ce temps, les gosses des rives du lac, dont les parents sont morts du sida, sniffent le plastique fondu de l’emballage du poisson.

Hubert Sauper, le réalisateur du film, le répète : il aurait pu faire ce film dans n’importe quelle région qui exporte des produits à destination du Nord, bananes, pétrole, diamants, et nous montrer ainsi la face cachée de la « mondialisation heureuse ». Il nous ôte de manière salutaire nos illusions sur un commerce mondialisé qui apporterait ses bienfaits à tou-te-s. Parce qu’entre inégaux, on ne peut pratiquer de commerce qu’inégal et injuste.


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