Chiche ! Chambéry (73)

"L’insécurité n’est pas un fantasme"

mai 2002

C’est sur cette phrase que commence Violences et insécurité urbaines d’Alain Bauer et Xavier Raufer, un bouquin de la collection "Que sais-je ?", publié pour la première fois en 1998 et qui depuis reste un succès de librairie.

Eh oui, l’insécurité c’est le thème à la mode. On croyait le revoir débarquer au moment des municipales de 2001 ? C’est en 2002 qu’il arrive en masse, 11-septembre oblige. Vichy-pirate, on connaissait, suite à des attentats ayant eu lieu sur notre sol et pas à des milliers de kilomètres. Mais 2002 est un millésime plus fort en bouche, avec sa loi de sécurité quotidienne et l’inscription obligatoire du thème à tout débat de campagne électorale. Bauer et Raufer surfent donc sur la vague et nous ressassent jusqu’à plus soif les principaux points de la pensée sécuritaire unique.

"La situation ne fait que s’aggraver"

C’est bien connu, tout ça, c’était mieux avant. Avant c’était pas le bonheur, non, mais ça y ressemblait. Tenez, on n’avait pas toute cette délinquance. Maintenant c’est toujours plus : "des délinquants toujours plus jeunes, toujours plus violents, toujours plus récidivistes" [1]. La délinquance augmente à une vitesse, je vous dis pas. Bon ben si je vous le dis. Et je vous montre des graphiques-catastrophes, avec des statistiques qui montent en flèche. Actes de délinquance recensés par les Renseignements Généraux : 3000 en 1992, 4000 en 1994, 11000 en 1996, 26000 en 1998. Une croissance record. Les mauvaises langues diront que les chiffres ne sont pas à prendre au pied de la lettre, que beaucoup de détails peuvent les faire varier et que les RG ne sont pas une source très sûre... Mais bon mon tableau, c’est du concret, ça. Et les faits divers que je vous raconte pendant des pages et des pages, si ça ne vous convainc pas je ne sais pas ce qu’il vous faut. Ce qui fout le plus la frousse dans tout ça c’est que la violence sort des ghettos, brrr. Si encore ils restaient dans leurs banlieues, on s’en fout, on n’y va jamais. Mais là ils exagèrent, non mais, venir nous faire chier à Paris ou dans nos petites villes jusque là épargnées. A "Annonay ou Montauban, des bandes de "jeunes" (sic) en cagoule incendient les voitures et affrontent policiers et pompiers, exactement comme dans les cités les plus dures de la Seine St-Denis." [2] Il paraît même que les "jeunes" de la banlieue lyonnaise font des virées jusqu’en Suisse pour faire chier les riches ! [3]

Comme une gangrène, la violence urbaine s’étend de toutes les manières : les délinquants sont toujours plus délinquants, leurs actes toujours plus nombreux, et ils se répandent à travers tout le territoire. D’ici à ce que la violence urbaine arrive à la campagne, on ne serait pas étonné.

Ne pas stigmatiser les populations défavorisées, disent les gauchistes

La faute à qui ? Ben on vient de vous le dire, il n’y a qu’un seul type de violence urbaine et c’est la faute aux "jeunes", guillemets obligatoires, pour ne pas confondre avec la gentille fille à papa qui passe ses week-ends à l’aumônerie. "Ces violences ont des auteurs à l’âge et aux références sociales définis ; elles se produisent enfin sur des territoires bien précis." [4] Autres précisions, "les acteurs de ces violences urbaines sont le plus souvent des êtres hypernerveux, violents, plus portés sur les gadgets que sur la high-tech, attirés par les rapines faciles et s’agrégeant en bandes peu structurées." [5] Et de nous dresser un portrait-robot de ce "jeune" délinquant : souvent mineur, souvent débile (l’intellect d’un enfant de huit ans), souvent analphabète. Il rêve de ressembler au grand-frère qui a réussi et qui lui est un de ces "trafiquants "semi-grossistes" au profil classique : vingt ans, RMIstes, roulant BMW et voyageant beaucoup." [6]

Le mot immigration n’est pas tellement prononcé, ou rarement, pour un ouvrage aussi raciste, ça ferait tout de suite lepéniste et on est dans une collection grand-public. Mais ce sont des personnes et des quartiers qui sont stigmatisés. Bauer et Raufer font même page vingt-cinq la liste des dix-neuf quartiers à éviter, du Val-Fourré à Mantes au Mirail à Toulouse en passant par la ZUP Nord d’Amiens. En annexe à la fin du bouquin, une liste des stations de métro (de RER surtout, c’est le passage obligé du banlieusard pour investir Paris) dangereuses et des lignes de bus (banlieusardes, elles aussi) où règne l’insécurité. Ainsi que le nom et la localisation des bandes de "jeunes" les plus violentes. Tremblez braves gens.

Vous en doutiez ? Eh bien oui ma petite dame, ce sont les pauvres qui sont la cause de tout ce désordre qu’on voit à la télé. Ces gens-là, qu’on appelle en langage châtié "la France périurbaine".

"Le tout-social ne permet pas de contenir les violences urbaines"

La solution ? Soyons réalistes, la "prévention à la française", cette politique de la ville qu’on a essayé de mener depuis environ... 1981, n’a jamais marché. "Le tout-social ne permet pas de contenir les violences urbaines." [7] Oh bien sûr on ne va pas douter de la bonne volonté de ces gens de gauche. Mais qu’ils ont pu être naïfs... "Si ces objectifs [sociaux] sont parfaitement estimables -qui ne souhaite vivre dans un logis agréable, se plaire dans son quartier et avoir un travail gratifiant ?-, leur réalisation même complète n’aurait qu’un impact minime sur la criminalité et les violences urbaines." [8]

Alors quoi ? Truffer nos villes de policiers ? Mouais... C’est que la peur du gendarme a fait son temps. "Les malfaiteurs constatent qu’une présence policière passive, sans répression ferme à la clé, ni condamnation à de vraies peines de prison réellement purgées, est au fond inoffensive." [9] On notera les vraies peines de prison réellement purgées, comme s’il y avait des fausses prisons avec des barreaux en chocolat. Et que les détenus qui les peuplent n’étaient pas en surpopulation. Ce langage, c’est celui des flics en manif, qui se plaignent de la loi sur la présomption d’innocence et de la clémence des juges.

Un exemple de répression réussie : "New-York est devenue une ville sûre, en pleine expansion, qui accueille dans des conditions de sûreté exemplaires des visiteurs de plus en plus nombreux." [10] On ne dit rien de la violence des policiers new-yorkais ni du fait que la peur du délinquant a fait place à la peur de la bavure du Police Department, les New-Yorkais se sentant à peu près autant en sécurité sous le règne des uns que sous celui des autres. Mais vu d’ailleurs, vu d’un monde où les statistiques sont ce qui compte, le maire Giuliani a réussi son coup, les chiffres ont baissé. La police municipale est un moyen de faire appliquer la loi coûte que coûte. "Le maire dispose de moyens larges, mais souvent incomplets, en matière de police municipale." [11] Maires, si vous vous sentez l’étoffe d’un Giuliani (ou d’un Mégret plus modestement), vous savez maintenant que c’est entre vos mains que repose la sécurité de vos citoyens. Pas de pitié pour les "jeunes" délinquants. Une autre solution est l’application d’une loi qui existe déjà et qui permet de punir les parents du mineur délinquant de deux ans de prison. "Gageons que, pour des parents démissionnaires ou négligeants, le risque sérieux de passer ne serait-ce que deux mois derrière les barreaux pour ce motif éveillerait bien des consciences." [12] Ca vous rappelle les allocations familiales qu’on enlève aux parents d’enfants délinquants ? C’est normal.

Dans une collection universitaire réputée sérieuse, lire un pamphlet aussi partisan (l’un des auteurs tire son principal revenu du marché de la sécurité privée) est une mauvaise surprise. Et cela se double d’une honnêteté intellectuelle très vacillante. Les violences urbaines sont d’après les auteurs une catégorie cohérente d’actes de délinquance commis par une certaine catégorie de personnes qu’ils stigmatisent ainsi, prenant le risque d’accentuer la violence et l’incompréhension qui règnent déjà entre "eux" les méchants et "nous" les bons citoyens. Une telle caricature, une telle simplification d’une réalité complexe, sont le lot de nombreux discours consacrées à l’insécurité et qui promeuvent à tout de bras répression et "tolérance zéro". Et ce pour le plus grand profit d’une classe de politiciens, de l’extrême droite au parti socialiste, pour qui l’Etat ne doit pas servir à répartir mieux la richesse nationale (impôts, services publics, allocations de tous ordres) mais garantir la sécurité de ceux qui ont du pognon.

J’oubliais une dernière chose. Nos deux auteurs ont fait paraître sur le même sujet, après le 11-septembre, un nouvel opus : La Guerre ne fait que commencer. Tout un programme.


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