Chiche ! Chambéry (73)

De l’agriculture productiviste à l’agriculture paysanne

décembre 2007

Alice et Michel Séon sont aujourd’hui à la retraite. Deux de leurs fils ont repris leurs terres. Ils se sont installés dans le Tarn au milieu des années 70. Originaires de la Loire, ils font partie de cette vague de population rurale, excédentaire dans certaines régions (Bretagne, Rhône-Alpes), qui a migré dans les régions (Sud-Ouest et Centre) où, au contraire, la population rurale était déficitaire par rapport aux terres disponibles.

Le cercle vicieux du productivisme

Le couple s’est lancé dans la production d’ovins viande, sur une surface de 48 ha (soit une surface moyenne), où le remembrement et la mise en place de l’irrigation et du drainage venaient d’avoir lieu. Ces deux derniers éléments engendraient des charges de structure importantes, et exigeaient donc de produire beaucoup.

Michel avait travaillé auparavant dans une coopérative laitière et était très imprégné du discours des maisons familiales rurales : le progrès, c’était de produire des quantités.

Pour leurs brebis, les Séon ont choisi la race la plus productive, créée par l’INRA.

Cependant, au fil des temps, les données de la rentabilité ont évolué : tandis que le prix de vente baissait, celui des intrants augmentait.

(Remarque de Lisa : dans le domaine agricole, on raisonne en effet beaucoup en terme de quantités produites mais peu en termes de bénéfices.)

En 1980, sous l’effet de ciseaux, les Séon ont été conduits à produire plus pour compenser la baisse des prix. Ils ont tout accéléré :
- la rotation des fécondations du troupeau de brebis
- la rotation des cultures (en passant à 3 récoltes/an)
- et…leur rythme de travail !

Une remise en question progressive

Plusieurs éléments ont conduit à une remise en cause de leur modèle de production :

1er élément : En 1990, le prix de l’agneau s’est effondré. Le groupement ovin de la coopérative agricole a étudié comment s’en sortir en prenant un autre chemin ; de là est venue l’idée d’une labellisation des produits. Michel a ainsi participé à la rédaction du cahier des charges « Label Rouge ». Cette réflexion a également débouché sur la création d’une association de gestion autonome : l’AFOC. Ceci a permis d’aborder la gestion agricole avec un autre regard.

Par ailleurs les Séon ont tenté l’expérience de la ferme pédagogique mais cela ne les a pas aidés.

2ème élément : En 1992, la réforme de la PAC a encouragé les cultures d’été, ce qui a engendré une pollution aux nitrates sans précédent dans la vallée de l’Agout. Les agriculteurs ont été montrés du doigt comme responsables de cette pollution. Le Conseil Général a proposé une démarche « Espace 2000 ». Il s’agissait d’une animation locale thématique visant à faire émerger des projets à financer. L’agriculture faisait partie des thèmes choisis. Lors d’une réunion publique inscrite dans ce cadre, Alice présenté un projet, qui a été très mal reçu. Cependant, 18 personnes ont souhaité s’associer au projet, de même que l’association Solagro. Dans le groupe, une dizaine de fermes ont analysé toutes les données pour élaborer des hypothèses. Trois exploitations se sont engagées pour des changements de système, d’autres, déjà proches de l’agriculture paysanne, ont fait des adaptations. Ces démarches ont été contractualisées avec le département. Les Séon ont opéré leur « révolte fourragère » avec l’arrêt de la culture du maïs pour l’ensilage. Ils ont également abandonné les engrais (petit à petit) et ont ralenti le rythme de fécondation du troupeau de brebis.

3ème élément : Les Séon sont allés voir André Pochon, agriculteur des Côtes-d’Armor dont les prairies étaient très productives grâce à l’association graminées/légumineuses. Pour promouvoir cette méthode, ils ont créé la structure Pinea. Cette démarche a bénéficié du soutien financier du ministère de l’agriculture dans le cadre d’un plan de développement durable. Le financement s’est porté sur l’animation (à travers la structure Pinea) et (je crois) sur les exploitations (pour la prise de risque lié au changement de méthode). En revanche, la chambre d’agriculture, qui ne croyait pas en la méthode Pochon, n’a pas soutenu la démarche.

Le résultat pour les Séon s’est révélé positif : tout en ne bénéficiant plus des aides céréalières, ils ont gagné en autonomie et on réussi à maintenir leur revenu en travaillant moins. Ceci s’explique par la baisse considérable des charges de structure, à savoir :
- moins d’engrais, de mécanisation, de concentré pour les troupeaux
- mais aussi beaucoup moins de charges sociales en ramenant leur chiffre d’affaires annuel à un montant inférieur à 500 000 F. En effet, il existe deux régimes d’imposition des exploitations agricoles qui se répartissent de part et d’autre d’un seuil de chiffre d’affaire annuel situé auparavant à 500 000 F (régime de bénéfice réel au-delà, de bénéfice forfaire en-deçà). Cependant, l’abandon du maïs a été quelque chose de très difficile psychologiquement !

L’émergence d’une définition de l’agriculture paysanne

Par la suite, Alice a travaillé à l’Adeart (association de développement de l’emploi agricole et rural dans le Tarn). La Fadear (Fédération associative pour le développement de l’emploi agricole et rural) est le pendant « formation » de la Confédération Paysanne, qui se structure aux niveaux national et local. Un animateur de l’Adeart a fait un recensement de l’agriculture paysanne dans le Tarn. Ceci a permis de faire valider des C.T.E. (contrats territoriaux d’exploitation ) « agriculture paysanne ». Le recensement a abouti à une liste de 45 exploitations qui rentraient dans les critères suivants :
- revenu décent
- mode de production non intensif
- mixité du système : polyculture-élevage
- démarche de qualité à partir d’un cahier des charges reconnu
- autonomie du système à la fois concernant les achats (il s’agit d’acheter le moins possible à l’extérieur) et la gestion (cf exemple de l’AFOC, ci-dessus)
- aménagement du territoire
- vivabilité (conditions de vie)
- respect de l’environnement (Solagro a proposé un outil de mesure du respect de l’environnement et d’autonomie : par exemple en mesurant l’énergie consommée, les mètres linéaire de haie, etc.)
- reproductivité et transmissibilité (une ferme concentrant trop de capitaux n’est pas transmissible)
- maîtrise des volumes de production
- solidarité

Au niveau national, la Fadear a élaboré une charte de l’agriculture paysanne qui se décline en thèmes, critères et indicateurs, mais elle a estimé que l’agriculture paysanne n’était pas labellisable.

Les freins au retour de l’agriculture paysanne

On peut relever des freins d’ordre politique et culturel :

- freins politiques : Tout d’abord, bien sûr, l’agriculture paysanne ne profite pas aux intérêts industriels… Cependant, au moment où Glavany était ministre de l’agriculture (gouvernement Jospin), des CTE agriculture paysanne avaient été validés dans le Tarn, ce qui représentait un espoir pour les petites fermes. Mais Glavany est parti avant que les CTE se mettent en place et aujourd’hui les petites fermes sont en difficulté. De façon générale, il n’y a pas de volonté politique de réinstaller les agriculteurs sur de petites et moyennes surfaces, et la tendance à l’agrandissement se poursuit.

- freins culturels : Les agriculteurs sont très encadrés, très surveillés. Il est donc difficile de s’écarter des sentiers battus. Par ailleurs, le mythe du progrès est encore très prégnant dans les mentalités et le contrecarrer nécessite beaucoup de moyens pour communiquer. D’ailleurs, il est à noter que la Confédération Paysanne elle-même communique peu sur l’agriculture paysanne.


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