Chiche ! Chambéry (73)

Pourquoi nous demandons un Revenu d’autonomie pour tous ?

février 2000

Introduction :

Nous défendons l’idée que tout être humain a droit a des moyens de subsistance, à un minimum décent : idée qui peut paraître utopique, dans une société d’abondance où les pauvres restent, eux aussi, abondants. Mais un tel état de fait montre que le premier problème de notre économie n’est pas tant la production des richesses que leur redistribution : alors, pourquoi ne pas dissocier complètement travail et revenu, et pas seulement pour les rentiers ?

1) Constat d’insuffisance du RMI :

En France, l’objectif de permettre à tous de bénéficier de la richesse nationale et d’assurer une couverture sociale n’est pas nouveau. Ce rôle est essentiellement rempli, pour les plus démunis, par le RMI. Mais pour toucher le RMI, il faut :

- remplir les conditions de ressources
- être français ou résident légal depuis au moins 3 ans
- disposer d’une adresse postale
- avoir plus de 25 ans
- ne pas être étudiant
- rechercher un emploi
- participer à la démarche d’insertion proposée par les pouvoirs publics.

Les quatre derniers points sont loin d’être sans conséquences...

1.1) Aide sociale ou contrôle social ?

L’obligation d’insertion et de recherche d’emploi se traduit par une dérive du RMI de l’aide sociale vers... le contrôle social. En témoignent :

- Les Contrats d’Exploitation Sociale :Un exemple parmi d’autres : Eduardo, 36 ans, est artiste et RMIste. Ne trouvant pas de travail dans le domaine culturel qui l’intéresse, on lui propose un CES de plomberie. Il refuse : on lui supprime le RMI. Aurait-il dû accepter d’être sous-payé pour un travail qu’il n’a pas choisi ?
- Les dérives vers le travail forcé : A Perpignan, le maire (PS), Christian Bourquin, a une drôle de conception du retour des RMIstes à la vie active. Son projet : les obliger à quelques heures de travail d’intérêt général par semaine. Et "il y aura des possibilités de sanction parce qu’elles existent déjà dans les textes" (La Dépêche du Midi, 20/06/98).
- L’impossibilité de dire non... : Le RMI ne s’inscrit pas dans une démarche de réinsertion librement consentie ; il s’appuie sur l’impossibilité de dire non quand on est dans la dèche. Quitte à faire accepter n’importe quoi, au déni de toutes les avancées obtenues en droit du travail français. Bah, ça prépare à la "flexibilité" nécessaire sur le marché de l’emploi, non ?

1.2) Etudes et RMI : quelle reconversion ?

S’agit-il d’ailleurs vraiment de préparer le RMIste à se réinsérer ? Si dur qu’il soit de le dire, beaucoup de chômeurs longue durée sont de fait inadaptés au marché de l’emploi. Quand on a plus exercé depuis longtemps un métier que l’évolution technologique a déjà rendu obsolète, allez donc trouver du travail. Mais face à ce constat, le RMI ne donne aucunement les moyens d’un nouveau départ : celui qui décide alors de reprendre à zéro des études... perd immédiatement son RMI !

1.3) Tremplin ou trappe de pauvreté ?

Même s’il joue un rôle de minimum social indispensable dans bien des situations, le RMI a ainsi tendance à devenir aussi, pour ses titulaires, un piège, une trappe de pauvreté. Revenu minimum acheteur de paix sociale, le RMI n’insère pas beaucoup...

1.4) Un manque criant : les 18/25 ans Enfin, l’étrange condition d’âge (plus de 25 ans) laisse sur le carreau bon nombre de jeunes en situation de précarité parfois dramatique. C’est pour le moins illogique : avant 18 ans, les jeunes "rapportent" du RMI à leurs parents (ainsi que des allocations familiales jusqu’à 20 ans), après 25 ans ils ont droit au RMI ; entre les deux, rien. Pourtant, le taux de chômage des 18-25 ans n’est jamais tombé en dessous de 19% depuis 10 ans, et le taux de pauvreté des 16-25 ans est passé de 11 à 18% depuis le début des années 90 (Le Monde du 8/1/97, d’après un rapport du CSERC). Une extension des minima sociaux vers les jeunes s’impose donc...

2) Revenu et travail : ce qu’on ne dit pas (assez)...

Le plein emploi, c’est fini et bien fini. Après 25 ans de chômage de masse, il n’est plus question de parler de "crise", mais d’un fonctionnement "normal" (bien qu’aberrant) de la société capitaliste. Alors, il est de temps de revenir sur quelques éléments de base.

2.1) L’emploi n’est pas une fin en soi

D’abord, rappelons que le chômage ne signifie pas sous-production, bien au contraire. Il y a de plus en plus de richesses, produites par de moins en moins de gens. Alors, pourquoi s’acharner sur le "problème de l’emploi" ? A quoi servent les emplois : à créer aussi bien des bombes que des yaourts, à vendre des frigos aux esquimaux (de la pub au marketing en passant par les techniques de ventes, _ des emplois consistent à refourguer ce qu’1/4 seulement des personnes ont fabriqué) ou à faire le clown pour que les sourires n’appartiennent pas à la préhistoire, à polluer (si on travaille dans une usine pétrochimique) ou à dépolluer (si on travaille dans une association écologiste), ... bref à rendre la vie meilleure ou pire. Parler d’emploi (sans plus de précision), c’est oublier que l’emploi est un moyen, et non une fin. Et que l’important n’est pas de travailler parce que nous ne savons plus quoi faire de nos journées, mais de faire quelque chose qui améliore les journées de tous.

2.2) Toute activité n’est pas rémunérable par le marché du travail

En outre, certaines activités fort utiles ne sont pas considérées comme travail, parce qu’elles ne sont pas payées, ni motivées par le profit ou les contraintes étatiques. C’est ce qu’on appelle le "tiers-secteur" : associations, activités citoyennes, nouveaux rapports sociaux (réseaux d Œéchange de savoirs), économie solidaire (systèmes d’échanges locaux, commerce équitable avec le sud) etc. Le bénévolat, ça ne paie pas !

3) Etudes : quel droit à l’éducation ?

F. Roosevelt disait : "si vous trouvez que l’éducation coûte trop cher, essayez l’ignorance". L’éducation est peut-être l’activité utile mais non rémunératrice par excellence, et il est de l’intérêt de tous que ce soit un droit pour tous. Mais pour que l’école ne soit un simple moyen de reproduire la pyramide sociale, il est nécessaire d’en faciliter l’accès aux plus démunis.

3.1) Bourses : les mains liées En France, le choix a jusqu’ici toujours été de favoriser un système de bourses d Œétudes. S’il est compréhensible de vouloir s’assurer que l’étudiant boursier étudie sérieusement, la rigueur actuelle en la matière amène des effets pervers non négligeables :
- pas de droit à l’erreur pour les étudiants défavorisés : rater une année signifie la fin de la bourse. Alors, mieux vaut ne pas tomber malade ou perdre un proche en période d’examens...
- impossibilité de changer de filière : alors qu’en première année de fac, un nombre important d’étudiant se réorientent, cela est de fait interdit aux boursiers.

Et comme il n’y a pas de RMI avant 25 ans, le boursier travaille sans filet : on peut ainsi croiser dans le métro parisien un licencié de mathématiques de 24 ans qui fait la manche... C’est pourquoi l’idée d’un Revenu Minimum Etudiant (RME) a fait son chemin, défendue à ce jour par l’UNEF-ID, la LCR, le PRG.

3.2) Etudiants, précaires et frites...

La précarité étudiante signifie aussi que nombre d’étudiants sont à la merci d’exploiteurs comme McDo, PizzaHut & Co. Et alimentent une population sous-payée, sans droits syndicaux réels, taillable et corvéable à merci, ce qui tire vers le bas les droits de tous.

3.3) Le changement de voie : un droit pour toute la vie

Enfin, , le droit à l’éducation est un droit pour toute la vie. Pourtant, nous avons déjà dit que les RMIstes ne pouvaient être étudiants. Les bourses sont réservées aux jeunes, donc interdites aux RMIstes, qui ont plus de 25 ans. Alors, la culture et l’éducation sont-elles ouvertes à tous, ou le privilège d’une élite ?

4.1) Le RAPT c’est quoi ?

Ce que nous proposons, c’est donc un "RMI étendu", appelé Revenu d’Autonomie, accordé :

- à partir de 18 ans.
- sous condition de faibles ressources (comme le RMI) et de déclaration fiscale autonome.

Plus d’obligation de chercher du travail, plus d’interdiction d’étudier, un âge minimum abaissé. Mais ça change beaucoup de choses...

4.2) Un revenu garanti, c’est la possibilité de vivre debout

Cela signifie sortir d’une infantilisation des exclus ("si tu es sage, tu auras des aides sociales"). Cela signifie leur laisser le choix, eux-mêmes, de la vie qu’il veulent et de leur parcours d’insertion. Cela signifie leur faire confiance, leur rendre leur dignité sans les culpabiliser.

4.3) Les 18-25 ans : conditions de ressources et rattachement fiscal

Cela change surtout beaucoup pour les jeunes. On nous dira : le RA financera les études (ou l’oisiveté) des gosses de riches. Eh non ! Demander une déclaration fiscale autonome implique que les éventuelles aides des parents soient déduites du montant de l’allocation versée. Pour les étudiants, on retrouve donc un RME pour les démunis, remplissant le rôle social des bourses. Et pour les jeunes précaires, on apporte enfin la couverture sociale qui s’impose.

4.4) Chiffrage budgétaire

image 687 x 280 - 10.2 ko Voici un tableau chiffrant (très grossièrement) le coût d’une hausse des minima sociaux pour atteindre un niveau minimal de 4000 F. Les coûts sont en milliards de FF, on arrive à environ 40 milliards. Cela ne tient compte ni des moins de 25 ans, ni du fait que la hausse du niveau de prestations entraîne une hausse du nombre des bénéficiaires : une partie des chômeurs touche moins d’AUD que 4000F, et toucheraient donc une partie du RA. Sans parler des actifs qui gagnent moins et des inactifs en ménage qui ne peuvent pas toucher les minima actuels parce qu’ils ne sont pas individualisés. Sans compter que les chiffres ne sont pas tout à fait actualisés.

Le chiffre de 70 milliards pour augmenter tous les minima sociaux de 1500 F et accorder le RMI aux moins de 25 ans a été donné par Jospin lors du mouvement des chômeurs de 97-98.

Celui de 70 milliards pour le rétablissement des tranches supérieures de l’IRPP est donné par Piketty. C’est donc un montant tout-à-fait raisonnable !

5) L’autonomie, c’est pas cher et ça peut rapporter gros

Pour autant que cette mesure semble simple, ne nous y trompons pas : elle impulse un vrai choix de société, une rupture dans les mentalités.

5.1) Droit à la paresse, droit à l’éducation

Le RA ne doit pas être perçu comme un acte de charité, mais comme une redistribution de la richesse en phase avec la mutation du travail en cours. Cette mesure accompagne et facilite la réduction du temps de travail. Cette réduction, en effet, ne peut se limiter à une réduction de la limite hebdomadaire de travail légal, ou à un abaissement de l’âge de la retraite (absurde vu la démographie française). Il s’agit de reconnaître la possibilité et l’utilité d’un temps choisi, tout au long de la vie : années sabbatiques, périodes de formation continue... C’est, dans le sens positif d’un épanouissement ouvert à tous, un droit à la paresse qui s’ouvre ainsi. Le droit pour tous d’avoir des loisirs, de s’éduquer, de faire le point sur sa vie ; bref comme disait Voltaire : "cultivons notre jardin".

5.2) Apprendre à vivre chichement : vers une société libérée du consumérisme et du productivisme

C’est reconnaître enfin qu’il faut travailler pour vivre, et non pas vivre pour travailler. C’est aller vers un choix de vie radicalement opposé à la logique du "toujours plus" : plus d’argent, plus de gadgets (téléphone portable, grosse voiture, climatisation...), plus d’emplois... et moins de temps pour vivre, et surtout vivre ensemble. Ce revenu n’est seulement un acte de solidarité pour les plus pauvres : parce qu’il les aide à résister aux pressions, à la "flexibilisation du monde du travail", et à suivre d’autres voies que celles des entreprises, il nous apporte à tous. Dans un monde du paraître généralisé, le Revenu d’Autonomie ouvre la voie à des gens qui vivent heureux chichement. Chiche !


Accueil du site | Contact | Plan du site | Espace privé | Statistiques | visites : 213027

Suivre la vie du site fr  Suivre la vie du site Nos idées  Suivre la vie du site Revenu d’autonomie et Travail   ?

Site réalisé avec SPIP 1.9.2c + ALTERNATIVES

Creative Commons License