Chiche ! Chambéry (73)

Revenu et travail : le revenu social garanti

novembre 2004

Présentation

La valeur dominante du travail, structurant les relations sociales et l’économie politique, doit résolument être remise en cause. L’écologie politique porte ce projet concret, mais encore vu comme utopique, de transformation sociale. Ce contre-pied a de grandes difficultés à s’imposer tant le travail salarié conditionne et porte le système capitaliste. Mais beaucoup d’indicateurs, externes à la portée particulière de cette revendication de la fin de la toute-puissante valeur-travail, portent à croire que cette structuration va prendre fin petit à petit. Il est donc décisif d’anticiper ces conséquences pour ne pas une nouvelle fois être dépassé par des externalités négatives en cascades.

Chômage de masse, déterritorialisation des emplois, temps des échanges formels et informels réduit au maximum, utilisation massive dans l’économie de l’information, du relationnel, de l’informel semblent mener entre autres à une refonte des conditions traditionnelles de travail salarié. Comment ne pas penser à une généralisation imposée des formes précaires et flexibles d’emploi (temps partiel non choisi, CDD, stage sous payé...) ? Paradoxalement, c’est au moment où la perte de repères stables du travail se dessine que le capitalisme se durcit en marginalisant celles et ceux qui ne peuvent avoir accès à une de ces formes d’emploi salarié.

Face à ces agressions quotidiennes, l’idée d’un revenu décent, inconditionnel et garanti pour toutes et tous, ne doit pas être qu’une utopie. Il s’agit d’une mesure d’urgence, et non pas de mesurettes réformantes. C’est l’idée même de l’omnipotence et de l’obligation sociale de l’accès de tous à l’emploi au sein d’une société capitaliste qui doit être combattue.

Le revenu social garanti

L’idée est de garantir un revenu de base suffisant, indépendant du temps de travail et, de toute façon, du travail lui-même. Le revenu garanti peut se cumuler avec une activité, avec un "travail", sans être obligatoire. Le travail en tant que réalisation de l’artisan n’est pas remis en cause. Le travail à forme d’emploi est une tâche socialement et juridiquement prédéfinie, qui vous est donnée à faire et pour laquelle on vous paie. C’est la subordination salariale qui anéantit le travail qui est dénoncée.

Pourquoi garanti ?

Parce que le travail en tant que moyen de gagner sa vie, quitte à la perdre, doit être aboli. La garantie inconditionnelle d’un revenu de base suffisant permet de transformer la flexibilité en droit au temps choisi, à négocier collectivement et individuelle­ ment toutes les formes de travail, surtout s’il est partiel. Il permet surtout de choisir si on le souhaite de ne pas avoir d’em­ ploi salarié du tout , mais de consacrer sa vie à d’autres activités non-lucratives.

Le revenu social garanti permet de choisir la voie de réalisation de soi qui nous convient. C’est de que Gorz appelle du "travail de production de soi" et celui-ci demande du temps. Ce temps dépasse le temps de travail immédiat. L’importance quantitative du travail de production de soi l’emporte sur celle du travail quantifié salarié. Or, le sens de la vie actuelle tend à se déplacer et à prioriser absolument le temps de travail productiviste. Il apparaît donc difficile de faire dépendre la hauteur du revenu de la quantité, mesurée en heures, de ce travail.

La vie personnelle et sociale doit être appréhendée dans toute ses facettes : multidimensionnelle, multiactive, polycentrique... La politique de l’emploi pour l’emploi finit par faire de chacun le spécialiste certifié d’une seule activité, incompétent, dépendant et irresponsable pour tout le reste. S’il faut des spécialistes pour tout, si toute activité est un moyen de gagner sa vie, personne ne sait résoudre les problèmes quotidiens de la vie et se prendre en charge. Le revenu social garanti est une responsabilisation de tous face à tous, il recrée la solidarité et l’engagement social quotidien.

Pourquoi social ?

Actuellement deux types de revenu garanti existent : - le chômage, qui est dû à la personne qui a travaillé (mais cet acquis est en train de changer : culpabilisation...) - le RMI, qui est inconditionnel (il l’était au début, mais ça change avec le RMA).

Le revenu social garanti est un revenu inconditionnel, non lié au travail.

La valeur du travail

Le travail a une double nature. D’un côté, c’est un rapport d’exploitation, de domination, d’aliénation, voire dans certains cas de formes modernes d’esclavage. Mais, d’un autre côté, c’est aussi un espace de socialisation, de réalisation de ses capacités et de ses compétences. Ce qui est dénoncé aujourd’hui, c’est l’exclusivité de ces réalisations dans la sphère travail.

Cet unilatéralisme permet au système productiviste d’asservir aisément le salarié, en jouant de la perte d’emploi et de l’éloignement croissant à l’égard du travail pour donner un sentiment d’inutilité personnelle et collective. Seule une partie infime peut aujourd’hui se targuer d’utiliser cette situation afin de se réaliser autrement ; une partie qui a su trouver les ressources internes et externes suffisantes pour se marginaliser, en partie ou plus, consciemment. Le conditionnement du travail paraît tel qu’une majorité des chômeurs aspire à retrouver un emploi, alors que les emplois auxquels ils accèdent restent précaires et ne leur procurent parfois pas un revenu supérieur aux allocations auxquelles ils peuvent prétendre.

Or pour l’écologie, on ne peut séparer le travail et ses outils, ses conditions, ses moyens de production, son abord de la réalité et de l’environnement. La forme avilissante du travail salarié productiviste et ses conséquences sur le non-épanouissement et l’épuisement des ressources personnelles et naturelles rendent en soi inacceptable les avantages économiques et sociaux que peuvent procurer le travail actuellement.

Les points d’achoppement

Comment quantifier ?

Il est évident que le temps dégagé et les productions réalisées grâce au revenu social garanti sont difficilement quantifiables, comparables et échangeables contre n’importe quel autre travail. Leur produit et leur rendement ne sont pas mesurables. Ce ne sont pas des marchandises, ce qui est aussi le cas de la vie, de la culture ou du tissu relationnel, alors qu’ils sont des fins esthétiques en eux-mêmes, du point de vue social et, même, en tant que force productive du point de vue économique.

Le libéralisme se trompe lorsqu’il croit pouvoir tout chiffrer : nuisances, utilité sociale, invention, etc. Il n’y a pas de vérité des prix. Or, dans le cadre d’une économie informationnelle, tout nous pousse à reconnaître les richesses non commercialisables, non monétarisables, à les rendre librement accessibles à tous, en interdire la privatisation-monopolisation-valorisation. Il est temps par la revendication et l’instauration du revenu social garanti de prévenir les conséquences de l’informatisation de l’économie en donnant à tous les moyens de se prémunir en faisant librement ses choix.

Quel financement ?

La question du financement concentre évidemment les nerfs de la guerre. L’histoire nous apprend que de grandes réalisations économiques, politiques et sociales ont été rendu possibles grâce à des choix politiques : sécurité sociale, système de retraite ? Pourquoi aujourd’hui l’instauration d’un revenu social garanti serait impossible ? L’effort quelqu’il soit est d’abord un choix de société. Le problème est politique mais techniquement réalisable même s’il doit débuter localement.

Qui fera les tâches ingrates ?

Eternelle question de savoir qui sera éboueur ? Il y a dans l’idée globale de revenu social garanti une large vision renouvelée de la répartition collective des tâches et d’une valorisation des travaux aujourd’hui définis comme ingrats (que se passerait-il si chacun collectait, triait et recyclait ses propres déchets avant de les amener eux-mêmes dans un centre de retraitement ?)

Comment les gens se rencontreront-ils ?

Si le travail est depuis au moins 60 ans le lieu de socialisation par excellence, où va-t-on lier connaissance ? Le revenu social garanti veut justement démontrer que le lieu de travail n’est pas le seul espace de socialisation possible. Plus que ça, les conditions et la finalité intrinsèque de l’emploi actuel faussent parfois les relations. Dans les conditions actuelles d’inégalité de conditions de travail, de salaire ou autre, il n’est pas sérieux de croire que le travail offre un espace libre, autonome et solidaire de rencontres et d’échanges. La crainte des licenciements, du chômage, de la précarité et de l’exploitation sont la réalité de la domination engendrée par le travail. La domination n’est pas souvent visible mais véritablement latente. Il faudra bien sûr reconstituer des lieux de socialisation, des forums valorisent les compétences de chacun.

Activité sociale et travail des femmes

Si le travail salarié n’est rien d’autre qu’un esclavage, alors les femmes auraient dû se féliciter d’en être écartées et exiger ensuite un revenu garanti comme contrepartie de leur activité sociale ? Dans ce cadre de réflexion, faut-il penser que l’accès des femmes au travail salarié n’a alors été qu’une régression sociale ? En effet, ce raisonnement peut contredire les aspirations égalitaires des femmes en matière d’emploi. Mais tout comme les revendications syndicales pour l’égal accès à l’emploi et aux conditions de travail font partie intégrante de notre histoire sociale et politique, tout comme les mouvements de chômeurs et de précaires font partie quotidienne de notre actualité, le revenu social garanti est un projet politique concret que chacun doit se réapproprier et qui s’inscrit pleinement dans les réflexions d’écologie politique sur l’autonomie de tous, sur la responsabilisation collective et individuelle à avoir et à transmettre .

C’est pourquoi l’idée d’un revenu social garanti ne va pas, avant tout, sans un partage du temps de travail et une nouvelle répartition des tâches collectives. Ce n’est pas une mesure qui doit être prise isolément mais au contraire qui doit envisager de manière globale.

Le revenu social garanti est-il compatible avec des relations harmonieuses entre les pays du Nord et du Sud ?

En effet, « la relocalisation des activités et l’arrêt de l’exploitation du Sud, ainsi que l’abandon du système thermo-industriel, nous obligerait à un surcroît de travail » (Serge Latouche, La Décroissance). D’où la question de savoir si malgré ce surcroît de travail il serait encore possible de financer le revenu social garanti. Cependant, « la création d’emplois pour tous ceux qui le désirent, ainsi qu’un changement de mode de vie et la suppression des besoin inutiles jouent dans le sens con­ traire ». « Enfin, les « réserves » sont importantes, si l’on songe que les gains de productivité, des siècles durant, ont été transformés en croissance du produit plutôt qu’en décroissance de l’effort ».

Revenu social garanti et décroissance

Le revenu social garanti remet aussi en cause la fuite en avant créatrice de toujours plus d’inégalités, dévorant nos ressources, notamment énergétiques, d’ailleurs mises au coeur du capitalisme hyperproductiviste. Leur épuisement est désormais notre horizon historique, comme l’avait déjà souligné il y a plus de dix ans le club de Rome.

Le concept de durabilité, de développement durable, se limite uniquement à la durabilité d’un modèle de croissance sans prendre en compte la notion de préservation des écosystèmes et le renouvellement des ressources naturelles, notamment celles fossiles non renouvelables. Dans une perspective écologique, il est donc tout à fait insuffisant, voire inacceptable. De nouveaux concepts apparaissent comme ceux de décroissance qui préserverait le capital naturel. Le revenu social garanti doit aussi s’inscrire dans cette réflexion écologique de préservation des ressources en promouvant des activités non seulement respectueuses mais aussi valorisantes pour l’environnement. Du temps pour chacun permettrait d’arrêter les gaspillages d’énergie souvent justifiés quotidien­ nement par manque de temps (lave vaisselle, lave linge,...) ou par exigence temporelles autres (temps de transports des biens et des personnes toujours plus resserrés). Le revenu social garanti permettrait ainsi de limiter les besoins matériels ou immatériels créés artificiellement par la société productiviste : tranquilisants, voiture, avions, garde d’enfants,...

Pour ne jamais conclure

C’est parce que l’avancée du système capitaliste libéral en­ trevoit de nouvelles conditions de travail a priori plus souples et plus autonomes (télé-travail, emploi à domicile, flexibilisation des horaires...) que l’idée du revenu social doit rapidement faire sa place dans les débats pour contrecarrer ce qui ce trame sous ces formes apparemment plus libres de travail. Une flexibilité à tout crin, une asservissement plus grand, un recul grandissant des acquis sociaux toujours vécus (et heureusement !) comme socialement structurants (sécurité sociale, retraite, congés payés, allocations chômage ?) sont les corollaires des nouvelles formes de travail proposées aujourd’hui. Elles reposent toujours d’ailleurs sur une « armée de réserve » de manutentionnaires, d’ouvriers spécialisés, de tâches parcellisées et autres.

Il est urgent de proposer une mesure claire et réalisable pour que chacun puisse jouir de la vie et se réaliser dans d’autres pans que celui de son emploi. Le développement humain est une fin en lui-même, il vaut par soi, indépendamment de son utilité économique immédiate. Pour citer MARX, les "facultés de jouissance, de production, de création, de cognition etc." ne sont pas comprises comme des "forces productives" qui permettent la création de richesse mais comme "étant" des fins en elle-mêmes.

Un revenu garanti et inconditionnel permettra à tous de choisir le chemin qu’il entend prendre. Ce revenu donne une force, une véritable ’garantie’ pour se réaliser. Elle n’est pas suffisante un soi, nous avons vu qu’il fallait qu’il soit accompagné d’une répartition des tâches, des rapports Nord/Sud, d’une responsabilisation écologique, mais constitue toutefois une étape décisive. Sortir d’une conception marchande-utilitaire-économiste de la richesse serait tellement plus qu’un grain de sable dans l’appareillage économique capitaliste.


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